« Ô, vous qui croyez ! Craignez Allâh, et cherchez un moyen d'accès vers Lui, et luttez sur Sa Voie, peut-être parviendrez- vous au succès ! » (Cor. 5:35).
Il y a dans ce verset une indication sur le parcours de la Voie qui conduit à la connaissance (1).
En premier lieu, Dieu ordonne aux croyants de pratiquer la crainte de Lui (al-taqwâ). Cela correspond à ce que, chez nous (2), on appelle la « station du repentir » (maqâm al-tawba), qui est la base de tout progrès sur la Voie et la clef qui permet de parvenir (3) à la « station de la réalisation » (maqâm al-tahqîq). Celui à qui elle a été accordée, l'arrivée au but lui a été accordée, et celui à qui elle a été refusée, l'arrivée au but lui a été refusée. Ainsi que l'a dit l'un des maîtres : « Ceux qui ne parviennent pas au but (al-wusûl), c'est parce qu'ils n'ont pas respecté les principes (al-usûl). » (4)
Dieu nous dit ensuite : « et cherchez un moyen d'accès vers Lui » (5), c'est-à-dire : après avoir maîtrisé la « station du repentir » en vous conformant à toutes ses conditions, cherchez un moyen d'accès. Ce moyen, c'est le maître dont la filiation (nisba) est sans défaut (6), qui a une connaissance véritable de la Voie (7), des déficiences qui font obstacle et des maladies qui empêchent de parvenir à la Gnose (8), qui possède une science éprouvée de la thérapeutique, des dispositions tempéramentales et des remèdes qui conviennent (9). Il y a unanimité absolue des Gens d'Allah (10) sur le fait que, dans la Voie de la Gnose, un « moyen d'accès » (wasîla), c'est-à-dire un maître, est indispensable. Les livres ne permettent nullement de s'en passer, du moins dès lors que se produisent les inspirations surnaturelles (al-wâridât), les éclairs des théophanies (bawâriq al-tajalliyât) et les évènements spirituels (al-wâqi'ât), et qu'il devient donc nécessaire d'expliquer au disciple ce qui, dans tout cela, doit être accepté ou rejeté, ce qui est sain et ce qui est vicié (11). En revanche, au tout début de la Voie, il peut se contenter des livres qui traitent du comportement pieux et du combat spirituel dans son sens le plus général (12).
« Et luttez sur Sa Voie » (13) : c'est là un ordre de se battre après avoir trouvé un maître. Il s'agit d'une guerre sainte (jihâd) spéciale, qui est menée sous le commandement d'un maître et selon les règles qu'il prescrit. On ne peut faire confiance au combat spirituel mené en l'absence d'un maître, sauf en des cas très exceptionnels, car il n'y a pas une guerre sainte unique, conduite d'une unique manière : les dispositions des êtres sont variées, leurs tempéraments très différents les uns des autres, et telle chose qui est profitable à l'un peut être nuisible à l'autre (14).
Mawqif 197.
(1) [ishârah li-bayân sulûk tarîq al-ma’rifah]. (2) [‘inda-l-qawm, « chez les initiés »]. (3) [al-asâs li-sulûk at-tarîq wa-l-miftâh li-l-wusûl]. (4) [mâ harramû-l-wusûl illâ bi-tadyî’-l-usûl]. (5) [wa-btaghû ilayhi-l-wasîlah]. (6) [ash-shaykh al-kâmil bi-n-nisbah]. Note du traducteur : « La régularité de cette filiation est exprimée par la silsila, la « chaine » - remontant à travers une suite ininterrompue jusqu’au Prophète lui-même - par laquelle s’est transmise la baraka, l’influence spirituelle. La fonction de maître (murshid, shaykh) implique obligatoirement le rattachement à l’une de ces chaines ». (7) [al-‘ârif bi-t-tarîq]. (8) [wa bi-l-‘ilal al-‘â’iqah wa-l-amrâd al-mâni’ah fî-l-wusûl ilâ-l-‘ilm bi-Llâh - ta’âlâ -]. (9) [al-hâdhif al-khabîr bi-l-mu’âlajah wa-l-amzijah wa-l-adwiyah wa mâ yuwâfiq minhâ]. (10) [in’aqada ijmâ’ ahli-Llâh annahu lâ budda bi-l-wasîlah, litt. « un consensus des gens d’Allâh s’est formé sur la nécessité du moyen d’accès »] (11) [li-yubayyina li-l-murîd al-maqbûl mina-l-mardûd wa-s-sahîh mina-s-saqîm]. Note du traducteur : « Cette phrase fait référence à des notions techniques appartenant au vocabulaire de la phénoménologie spirituelle islamique. Al-wârid, l’inspiration, désigne selon Ibn ‘Arabî (Ist., définition 59) « toutes les pensées louables, qui surviennent inipinément dans les cœurs sans effort préalable ». Al-barq, l’éclair, est défini par Jurjânî (Ta’rifât, s.v.) comme « la première manifestation du serviteur des éclats de lumière supra-sensible ; il l’invite à pénétrer dans la demeure de la Proximité du Seigneur en vue du « voyage en Allâh » ». La wâqi’a, « l’événement », s’applique généralement, dans le tasawwuf, à une vision survenant entre veille et sommeil. » (12) [al-kutub al-musnafah bi-l-mu’âmalah wa-l-mujâhadah al-mutlaqah]. (13) [wa jâhidû fî sabîli-Hi]. (14) [fa-la-rubbamâ yakûn al-amru an-nâfi’ li-zayd mudirran bi-‘amrû wa bi-l-‘akas, litt. : il se peut que ce qui est profitable à Zayd soit nuisible à ‘Amr, et inversement.]
[Émir Abd al-Qâdir, Mawqif 197, traduction et notes de Michel Chodkiewicz dans Abd el-Kader-Écrits spirituels, édition du Seuil, 1982, p.60-61. Les notes entre crochets sont celle du blog esprit-universel et consistent en des translitérations à partir d’un texte arabe des Mawâqif ar-rûhiyyah wa-l-fuyûdât as-subbûhiyyah, éd. Dâr al-kutub al-‘ilmiyyah, Beyrouth 1425H/2004, TI, p.348-349]
ANNEXE - Lien : Texte arabe des Mawâqif ar-rûhiyyah wa-l-fuyûdât as-subbûhiyyah, éd. Dâr al-kutub al-‘ilmiyyah, Beyrouth 1425H/2004.
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